« C’est très rare » pouvait-on entendre sur les nombreux stands de design du XXe siècle, lundi au vernissage de Design Miami, qui se tient jusqu’au 17 juin en parallèle de Art Basel. En effet, plusieurs pièces rares voire uniques ont fait surface pour cette édition. Trois pièces de Franco Albini dessinées en 1940 pour la villa Neuffer à la galerie Giustini / Stagetti et aux prix relativement raisonnable pour des pièces uniques, une table Jean Prouvé chez Patrick Seguin, une autre basse chez Jacques Lacoste, un cabinet que Matégot avait dessiné en 1958 pour sa propre maison à Boutron-Marlotte chez Mathieu Richard, un lustre Mod. 2045 de BBPR en provenance du château Sforza chez Gate 5, ainsi qu’une table transformable de A.R.P chez Pascal Cuisinier. Cette dernière est paraît-il unique, mais après quelques recherches il apparait que 2 autres sont passées aux enchères ces dernières années, « des copies » nous assure-on sur le stand.



Pas toujours facile d’être certain que les pièces n’existent réellement qu’en un seul exemplaire. Sur le stand Curio consacré à Ettore Sottsass, le collectionneur et expert Ivan Mietton, me confie en parlant du vase delle Tenebre fabriqué par Bitossi, qu’il pensait le vase unique jusqu’à ce qu’il s’aperçoive qu’une de ses connaissances avait le même! « Typique Ettore » me dit le curateur qui a rencontré le maestro alors qu’il travaillait à l’archivage de son oeuvre pour le centre Pomipdou. Sa proposition « Una Piccola Stanza » fait partie de mes favoris de la foire, car elle offre une vision différente, plus « bourgeoise », du chantre postmoderniste plus facilement associé au radicalisme Memphis. Elle expose également la genèse d’un langage formel devenu la marque de fabrique de Sottsass.
La petite sélection se concentre particulièrement sur les productions années 60 pour Poltronova. Des pièces aujourd’hui très rares car l’excès de matériaux nobles et de techniques couteuses a considérablement entravé le succès commercial des modèles qui sont rapidement sortis du catalogue. À l’image de la très belle enfilade aux rayures de palissandre et de laque, ornée de poignées en bronze.

Cabinets de curiosités
Le programme Curio, sur le papier, s’inspire des cabinets de curiosités en vogue à la Renaissance,. Mais si l’approche plus expérimentale donne lieu à quelques résultats originaux comme « Una Piccola Stanza » ou l’écrin décalé de Sylvie Fleury pour les bijoux d’artistes de Syz Art Jewels, elle ennuie le plus souvent.
Les curiosités sont ailleurs. Par exemple chez Heritage Gallery de Moscou, qui présente des reliques de la période communiste. Parmi lesquels un bureau offert à Lénine par un artisan anonyme, dont la base est entièrement fabriquée de fusils, ou encore des vases décorés de figures, notamment celle du célèbre cosmonaute Gagarin, commémorant la conquête de l’espace par l’URSS.
La galerie américaine Magen H présente quant à elle, à côté de Pierre Chapo, The Gold Grotto un élément mural dessinée en 1999 par le décorateur Pierre Sabatier pour la discothèque Jimmy’z à Monaco.


Des pièces d’exceptions
Design Miami / Basel est un événement majeur dans l’agenda des collectionneurs internationaux, pourtant l’ennui peut guetter le visiteur assidu qui retrouvera inlassablement les mêmes pièces sur certains stands. Heureusement tous ne s’endorment pas sur leur lauriers. Ils sont en effet nombreux à sortir de véritables trésors dignes d’épater même les plus blasés. Par exemple ces fauteuils de Joe Colombo daté de 1968, une production Bonacina composées d’une coque renforcée en osier recevant des coussins crème, découverts chez Jousse entreprise et vendus pendant le preview. Rossella Colombari met en avant le rationalisme italien, parmi lesquels Angelo Mangiarotti, dont on peut admirer l’ingénieux système modulaire en bois, sans vis, précurseur de ses célèbres tables en marbre.




La galerie Mitterrand présente une collection exceptionnelle de Lalanne, dont un lit dessiné en 1999 par Claude Lalanne dévoilé pour la première fois au public, ainsi que « canard de Sêvres » une oeuvre unique dessinée par François-Xavier Lalanne en 1978.
Jacques Lacoste sort des sentiers battus avec un stand à valeur historique consacré à l’UAM, l’Union des Artistes Modernes fondé en 1929 sous l’impulsion de Robert Mallet-Stevens. Le rassemblement avant-gardiste, parmi lesquels Pierre Chareau, René Herbst, Louis Sognot et Jean Prouvé, défendait une éthique du produit anti-ornementale et l’utilisation de matériaux modernes.

La scénographie la plus réussie cette année est pour moi celle de R & Company, que la galerie new-yorkaise a confié au décorateur Pierre Yovanovitch. Le français signe par ailleurs une collection de mobilier haut de gamme produit en exclusivité par la galerie.
Au milieu des chaises de Yovanovitch, au petit air de Royère, trône une des plus belle pièce de la foire, une table unique du brésilien José Zanine datée des années 70. Les murs sont ornés de tapis de Dana Barnes, fabriqué à partir de tapis d’orient vintage que l’artiste décore d’aplats de couleur en feutre de laine.


Le design contemporain et la tendance tapisserie
La tapisserie, le travail du tissu et le tissage est une tendance forte dans le design contemporain. Ce retour à des techniques traditionnelles et séculaires s’observe comme un fil rouge tout au long de la foire.
La collaboration Raf Simons et Gaetano Pesce / Cassina pour Calvin Klein, Christoph Hefti chez Maniera, Louise Hederström chez Hostler Burrows, le mobilier tissé de Betil Dagdelen pour Cristina Grajales, Hella Jongerius pour Kreo, les animaux de l’artiste sud africaine Porky Hefer pour la fondation Leonardo Di Caprio. On redécouvre cet art longtemps méprisé, aussi chez les créateurs du XXe siècle comme Sheila Hicks chez Demisch Danant, Matégot chez Pascal Cuisiner, Nanda Vigo chez Erastudio Apartment et Jean Lurçat chez Jacques Lacoste.



Et le design contemporain justement? Il manque quelques acteurs clé et leur absence se fait ressentir. À part chez Maniera, Kreo, ou Giustini / Stagetti qui présente Formafantasma, j’ai du mal à me passionner pour les créations actuelles exposées à Design Miami. Il y a bien Friedman Benda qui présente la Watercolor Collection de Nendo, mais si la collection est très esthétique, j’avoue que le minimalisme du studio nippon me touche rarement.


La galerie The Future Perfect de Los Angeles fait par contre un début remarqué avec une sélection rafraîchissante de designers américains, pour ma part des découvertes. J’ai eu un gros coup de coeur pour les vases en céramique de Eric Roinestad, qui d’après la multiplication des points rouges semblent avoir également conquis les collectionneurs.

Design at large
Design at large sous la direction artistique du photographe François Halard m’a séduit pour sa générosité. Les 9 propositions grand format ouvrent un dialogue non chronologique entre les différentes périodes de l’histoire du design. L’idée étant d’observer comment le passé influence le présent, et comment le présent peut définir le futur.
Ceux qui cette année ont raté la Design Week de Milan se voient offrir une petite séance de rattrapage de l’édition 2018 avec Disco Gufram et l’exposition que Nilufar consacre à la designer brésilienne Lina Bo Bardi.
À noter également: Les éléments architecturaux et mobilier que Gateano Pesce a dessiné en 1994 pour le magasin de jouet Dujardin de Knokke en Belgique et le Dining Room Pavillon de RDAI Architecture.



Design Miami Basel, 12-17 juin 2018, Halle 1, Messe, Bâle
Texte Corine Stübi
Photo en titre: Galerie Patrick Seguin. Photo © Yanick Fournier